Issue 16 (Autumn 2021), pp. 147-170
DOI: 10.6667/interface.16.2021.133
La représentation de la Chine dans les manuels de CLE en France
Julie Bohec
professeur assistante à l’université catholique Fu-Jen (Taïwan), bohecjulie@yahoo.fr
Résumé
Cet article propose une analyse de quatre manuels de CLE (chinois langue étrangère) publiés en France par des auteurs uniquement français ou chinois mais aussi des manuels réalisés conjointement par des Français et des Chinois. Les périodes de publication varient également : de 1989 à 2013. À travers ces ouvrages, nous avons souhaité savoir comment y est représentée la Chine, quelle image est donnée du pays, mais aussi les stéréotypes présents et la place de Taïwan. Nous avons également comparé nos résultats afin de savoir si les époques et la nationalité des auteurs avaient une véritable influence sur les stéréotypes. Nous y avons retrouvé des stéréotypes courants sur la Chine qui est présentée comme les Français se l’imaginent: un pays exotique et encore traditionnel. Nous y avons également constaté la présence du Japon vue de façon différente selon les auteurs et leur nationalité. Nous avons remarqué la présentation impartiale de Taïwan dans certains ouvrages, mais aussi dans d’autres son absence. Notre recherche sur les stéréotypes est basée sur les travaux de De Carlo et de Choppin. Même s’ils sont inévitables et parfois positifs puisqu’ils facilitent les échanges, ils peuvent aussi être à l’origine de discriminations, mener au racisme et être une entrave pour connaître une culture étrangère. Les stéréotypes peuvent porter sur un groupe dont on fait partie ou non. Face à eux, il importe de savoir prendre du recul,de les parfaire et d’être conscients qu’ils ne présentent qu’une partie de la réalité. Les manuels transmettent des valeurs et une idéologie, ils ont une influence sur les façons de voir le monde et les points de vue des apprenants qui leur font instinctivement confiance. Cependant, il faut également prendre en compte que le manuel doit simplifier et réduire les contenus, opérer des choix pour ne garder que l’essentiel, ce qui l’empêche de présenter la réalité de façon exhaustive, il ne faut pas oublier cela dans cette recherche.
Mots-clés: manuels, stéréotypes, chinois langue étrangère (CLE), Chine, Taïwan
Abstract
This paper provides an analysis of four Chinese as a foreign language textbooks, published in France by French or Chinese authors only but as well as textbooks jointly carried out by French and Chinese authors. Publication times also vary: from 1989 to 2013. Through these books, we wanted to know how China is represented there which image of the country is given but also the stereotypes that are present and the place of Taiwan. We also compared our results to find out if the time and the authors’ nationality had a real influence on stereotypes. We found common stereotypes about China which is described like French people imagine it: an exotic and still traditional country. We also observed the presence of Japan seen in a different way depending on the authors and their nationality. We also noticed the impartial presentation of Taiwan in some books but also its absence in some others. Our research into stereotypes is based on De Carlo and Choppin ‘s works. Even if they are inevitable and sometimes positive since they make exchanges easier, they also can be the cause of discriminations, to lead to racism and to be an obstacle to know a foreign culture. Stereotypes can be about a group to which on belongs or not. Facing them, it matters to know to stand back, to perfect them and to be aware that they only represent a part of reality. Textbooks pass on values and an ideology, they have an influence on the way to see the world and on the points of view of learners who instinctively trust them. However, we also must take in consideration that the textbook has to simplify and to reduce contents, to make choices to only keep the essential which prevents from presenting reality on an exhaustive way, what should not be forgotten in this research.
Keywords: textbooks, stereotypes, Chinese as a foreign language, China, Taiwan.
Un manuel transmet des valeurs, que ce soit en ce qui concerne le choix de langue, les sujets ou le choix des textes (Choppin, 1992, p. 164). Les titres, la disposition, les auteurs d’un manuel ne sont pas neutres et les images sont aussi remplies de symboles (Id, p. 165) et il ne faut pas se désintéresser des auteurs dont l’influence sur les manuels peut être forte (Bishop & Denizot, 2016, p. 37). Nous nous sommes demandé quels sont les stéréotypes présents dans les manuels de chinois langue étrangère. Ont-ils évolué avec le temps et sont-ils différents selon la nationalité des auteurs (chinois ou français) ? Plus largement, comment sont présentés la Chine et parfois Taïwan dans ces manuels ? Pour cela, nous présenterons dans un premier temps la recherche sur les stéréotypes en nous basant sur les travaux de De Carlo et Choppin y compris pour l’analyse des manuels en observant la sélection des sujets des textes ainsi que sur l’organisation des connaissances mais aussi sur les procédés que sont les textes, les phrases détachées et l’iconographie ; puis nous verrons leur présence dans quatre manuels publiés à différentes périodes et par des auteurs d’origines chinoises ou françaises.
1. Les stéréotypes : Recherches et didactique
1.1 Définitions
Au niveau étymologique, un préjugé est un jugement avant une expérience mais à cette définition l’idée qu’il crée un obstacle pour connaître la vérité a été ajoutée (De Carlo, 1998, p. 83-84). Alors que le mot « stéréotype » vient de l’inventeur du processus d’impression des copies par « stéréotypie », le français Didot, en 1798 (Bertocchini & Costanzo, 2008, p. 154), Walter Lippmann, un publiciste américain a introduit ce terme dans les sciences sociales en 1922 (Chatziangelaki, 2011, p. 53).
Le stéréotype est « une représentation « cliché » de la réalité » qui est ramenée à « une idée toute faite » (Cuq, 2003, p. 224). Il s’agit de voir la réalité de façon incomplète et subjective. Un stéréotype est tout ce qui est accepté par les traditions, les personnes et les groupes sociaux mais aussi tout ce qui est créé pour être présenté a un « caractère supposé » (Chatziangelaki, 2011, p. 54). Une idée préétablie est un stéréotype alors que les clichés sont des groupes de mots fixes, des expressions sans originalité, par exemple : « têtu comme une mule » (Amossy, 1989, p. 34-35). Les sciences sociales s’intéressent plus aux stéréotypes et les études littéraires, aux clichés (Amossy & Herschberg Pierrot, 2015, p. 53) mais ils sont souvent utilisés comme des synonymes (Amossy, 1989, p. 34), c’est ainsi que nous les utiliserons pour cet article. Il ne faut pas confondre le stéréotype avec ce qu’il représente. Tisserant (2014, p. 388) rappelle que le stéréotype est « une croyance dépourvue d’émotion » alors que le préjugé est « une attitude chargée affectivement ». Souvent, elle s’exprime de façon émotionnelle négative envers une personne qui appartient à un autre groupe. Le stéréotype est une image, un avis, sur un groupe et les personnes qui le composent alors que le préjugé est l’attitude prise à l’égard des personnes qui composent ce groupe (Amossy & Herschberg Pierrot, 2015, p. 34-35). Le stéréotype est une structure cognitive obtenue et non naturelle sur laquelle le milieu socioculturel, l’expérience de chacun, les moyens d’influence telle que la communication de masse ont un effet, ce qui est lié à l’appartenance, à notre propre identité et à une position particulière face à une autre personne et l’étranger (Xie, 2008, p. 48). Selon Dufays et Kervyn (2010, p. 55), neuf aspects sont caractéristiques du stéréotype : sa banalité, son aspect immobile , sa caractéristique complexe à saisir et collective de sa base, sa constance dans le temps, son existence dans la mémoire d’un grand groupe, l’élément « évident » et sans interrogation de la plupart de ses emplois, les nombreuses valeurs que l’on peut lui accorder, son aspect intertextuel, qui est à l’origine et le résultat de beaucoup de récurrences, la réversibilité des points de vue le concernant. Cependant, Bertocchini et Costanzo (2008, p. 154) rappellent que le mot « stéréotype » est souvent synonyme de « préjugé ».
1.2 L’importance des stéréotypes
Les stéréotypes ne sont pas anodins puisque, selon Fiske[1], ils peuvent inciter à traiter différemment les autres. Ils risquent parfois d’être à l’origine de discriminations et conduire au racisme, entretenir les incompréhensions, le dédain et les tensions entre les groupes (Devriésère, 2015, p. 69). Ils sont aussi susceptibles d’être une entrave pour connaître une culture étrangère (Xie, 2008, p. 48). Mais ils peuvent également être positifs : puisque selon Leyens[2], ils sont le produit d’un système dont l’objectif est d’établir les échanges de la façon la plus efficace possible, ils facilitent la communication et aident à l’harmonie sociale (Id, p. 47). Lors d’un échange, les stéréotypes peuvent servir pour faire des suppositions sur l’attitude d’autrui et si cela ne correspond pas à ses attentes, il s’éloigne du stéréotype mais sans le supprimer et il est toujours possible d’y repenser lors d’attitudes perçues comme étranges (Bertocchini & Costanzo, 2008, p. 154). Certains stéréotypes sont négatifs : autrui est perçu comme un danger ou positif : l’autre est alors surestimé. Néanmoins, corriger une manière de voir les autres, perçue comme erronée pour qu’elle soit plus près de la réalité, n’est pas inutile : des recherches ont indiqué que l’accès à des informations, dont les détails sont exposés et à un système proposant un choix, participe à améliorer notre façon d’être et d’agir vis à vis des autres (De Carlo, 1998, p. 82). Mais ce n’est qu’un premier aspect qui ne serait pas suffisant sans comprendre les dispositifs qui permettent de construire des convictions et leurs rôles (Id, p. 82). Cependant, il est inévitable de développer des stéréotypes sur ce que nous ignorons ou avec qui nous avons eu peu de contacts puisque classifier facilite la compréhension du monde qui nous entoure (Tisserant, 2014, p. 388). Les stéréotypes peuvent être perçus de manière générale : « la nature des processus mentaux et leur fonctionnement » (De Carlo, 1998, p. 84) ou de manière spécifique : ce sont les idées négatives envers certains groupes. Par les stéréotypes, la réalité est déformée et simplifiée, que ce soit en insistant sur les différences entre deux groupes de personnes ou en les atténuant. En revanche, les stéréotypes ne sont pas tous complètement faux, certains se basent sur une réalité (Amossy & Herschberg Pierrot, 2015, p. 38). Les stéréotypes évoluent aussi avec le temps. C’est ce que nous avons voulu voir avec des manuels publiés à différents moments.
1.3 La création des stéréotypes
La connaissance est une évolution complexe entre réalité concrète, dimension subjective et situation historique et sociale (De Carlo, 1998, p. 82). Clara Gallini[3] indique qu’un préjugé ne substitue pas la vérité à un mensonge et qu’ « un préjugé n’est ni vrai ni faux » (Id, p. 83) mais selon Lippmann[4] l’image que nous avons des autres est toujours différente de la réalité ; d’ailleurs elle évolue selon la culture qui nous entoure et les exemples qu’elle nous envoie (Devriésère, 2015, p. 68). Classifier et catégoriser selon ses objectifs, ses nécessités et ses appréciations sont des mécanismes naturels chez l’homme ; sinon il serait trop compliqué de connaître tous les détails de la réalité. Les catégories doivent contenir de fortes ressemblances et les différences entre les membres seront donc oubliées pour ces similitudes (De Carlo, 1998, p. 85). Lorsque des traits spécifiques donnés à une catégorie sont perçus comme la représentant mais également comme la constituant, un stéréotype se crée. Le cliché est rattaché à des catégories dont dépend une personne : selon la nationalité, la religion, le métier, la race, le sexe, l’âge, la classe sociale, le groupe (les immigrés, les racistes...) (Amossy & Herschberg Pierrot, 2015, p. 32 & Chatziangelaki, 2011, p. 54). Les stéréotypes se créent sur des groupes par un contact fréquent ou par les médias. Les plus jeunes (enfants et adolescents) découvrent des réalités en partie dans des livres scolaires. Les stéréotypes seraient le résultat d’un « apprentissage social » (Amossy & Herschberg Pierrot, 2015, p. 37).
Le stéréotype repose sur « l’hypergénéralisation » (De Carlo, 1998, p. 85) : lorsqu’une personne est incluse dans une catégorie puisqu’elle correspond à un aspect telles que la langue, la couleur de peau...elle est vue comme parfaitement semblable à tous les autres membres sur tous les points (De Carlo, 1998, p. 85). Les stéréotypes ne portent pas sur des preuves mais sur des faits établis (Marie, 2008, p. 74). D’ailleurs, créer des catégories de personnes est déjà une forme de jugement puisqu’elles ne présentent pas la réalité de façon objective et signalent une vision du monde qui juge perspicace de différencier les gens selon un aspect plutôt qu’un autre.
Les stéréotypes sont différents selon les zones géographiques : le « stéréotype dévalorisant » est utilisé pour ceux qui se trouvent dans un lieu près de nous alors que le « stéréotype de l’exotisme » concerne les « cultures lointaines » (De Carlo, 1998, p. 86) ce qui est le cas pour les manuels de CLE en France. On différencie les « hétéro-stéréotypes » : sur un groupe qui nous est étranger et les « auto-stéréotypes » : sur un groupe dont on fait partie. Les représentations et les caractéristiques qui les composent sont produits par les traditions, « l’histoire, la situation politique et économique du pays et liés à la psychologie individuelle et sociale de ses membres » (Chatziangelaki, 2011, p. 54). Les auto-stéréotypes peuvent servir à construire des hétéro-stéréotypes. Nous verrons ces deux types dans les manuels étudiés. L’image que l’on se fait de soi-même dépend aussi du ou des groupes auxquels on appartient ; cela a des conséquences sur l’identité sociale et sur les relations entre les groupes, cela « aide à la formation individuelle et collective » (Devriésère, 2015, p. 69). Cependant, les stéréotypes informent sur celui qui le crée et non pas sur celui sur qui il porte (Cuq, 2003, p. 225). Nous avons donc choisi deux manuels de chinois langue étrangère réalisés principalement par des Français et un entièrement conçu par une Chinoise, ce qui permet de faire des comparaisons entre la perception de la Chine par les Français et la perception que les Chinois ont d’eux-mêmes.
Au niveau anthropologique, l’ethnocentrisme se retrouve dans toutes les sociétés qui considèrent leur groupe comme « mesure absolue à laquelle comparer tous les autres » (De Carlo, 1998, p. 87) et voient la diversité comme inférieure.
1.4 Les stéréotypes et la didactique
Comme les stéréotypes sont inévitables, le Manuel de formation pratique pour les professeurs de FLE indique qu’en didactique des langues, il faut les accepter et les traiter mais aussi les découper et pour cela, il est nécessaire de prendre du recul, de savoir observer autrui, mais, plus particulièrement il importe de s’observer soi-même et « se voir comme autre face à soi-même » (Bertocchini & Costanzo, 2008, p. 155). Maddalena De Carlo (1998, p. 88) suppose qu’un stéréotype comme image de différence, aide à se construire une identité puisque l’image que chacun se fait de sa propre personne dépend en partie de son image par rapport à celle du groupe dont il fait partie ou par rapport aux autres groupes. Nous sommes comme nous nous percevons mais aussi comme les autres s’imaginent que nous sommes. Notre identité dépend des autres et nous sommes différents en comparaison avec autrui (Id, p. 88). Créer des stéréotypes est nécessaire pour se former une identité (Ibid, p. 90).
Selon Dufays et Kervyn (2010, p. 53) : « les phénomènes de stéréotypie [...] ont toujours constitué un objet clé de l’enseignement des langues-cultures et un révélateur de ses enjeux et de ses valeurs ». Ils expliquent cela par l’étendue de son développement.
Les stéréotypes étant très courants et normalisés se retrouvent « en première place » dans les programmes et les manuels[5]. L’objectif n’est pas d’échapper aux stéréotypes mais de prendre conscience qu’ils sont un système pour organiser « sûrement inadéquats, trop limités ou pas assez appropriés, selon les cas » (Bertocchini & Costanzo, 2008, p. 155) mais ils paraissent inévitables lors du contact de deux cultures et puisque acquis, ils peuvent toujours être modifiés même s’ils sont qualifiés de « rigides et résistants aux changements » (Amossy & Herschberg Pierrot, 2015, p. 33). D’ailleurs, Jean-Pierre Cuq rappelle qu’il est inutile de vouloir lutter contre les stéréotypes mais il est inévitable de les parfaire et de faire prendre conscience qu’ils ne présentent qu’une partie de la réalité. Pour les apprenants débutants, l’enseignant peut utiliser les stéréotypes ; ceux-ci peuvent donner accès à une culture autre ou au contraire le fermer. À partir des années 1980, le stéréotype est devenu plus visible avec l’utilisation de documents authentiques en classe, il a été perçu comme un frein pour interpréter la réalité propre à la société parce qu’il oriente le point de vue et restreint la réalité culturelle et sociale de l’étranger. L’étude des stéréotypes a alors été acceptée comme objectif pédagogique par exemple avec l’analyse des représentations de chacun entre deux pays (Cuq, 2003, p. 225). Les enseignants ont également des points de vue subjectifs ; l’enjeu d’une éducation interculturelle serait alors de créer des symboles intersubjectifs qui pourront évoluer dans une relation avec autrui au sein de laquelle il pourra aussi se retrouver (De Carlo, 1998, p. 87). Pour avoir une influence sur les stéréotypes, l’enseignant doit définir les cultures de la classe : celle des apprenants comme de la langue apprise, il s’agit de voir les résultats de la création de stéréotypes sinon, ceux de l’enseignant seront un piège qui empêcheront d’atteindre les objectifs visés (Chatziangelaki, 2011, p. 56). Les stéréotypes aident également à la compréhension des textes lus (Dufays & Kervyn, 2010, p. 56).
Comme le fait remarquer Perret-Truchot, (2015, p. 1), un manuel n’est pas neutre puisqu’il choisit, classe les connaissances selon les besoins de l’enseignement. Dans un manuel, certains messages sont quasi systématiquement intentionnels et prévus afin de permettre à la culture et à la langue enseignées d’être plus mises en valeur. Lorsqu’un manuel paraît neutre au niveau politique et culturel, il contient toujours des valeurs et des messages sous-entendus. Ceci est très clair lorsque le manuel porte sur une société dont les valeurs sont éloignées de l’apprenant (Yamamoto, 2010, p. 171) ce qui est le cas pour les manuels de CLE en France, c’est pourquoi nous avons voulu savoir comment étaient présentés le pays et sa population dans ces manuels.
Amossy et Herschberg Pierrot (2015, p. 37) indiquent que les enfants et les adolescents découvrent des faits en partie par les livres scolaires ce qui a une forte influence sur l’image qu’ils se font de groupes dont ils n’ont pas de connaissances concrètes, mais aussi sur ceux auxquels ils appartiennent ou qu’ils fréquentent au quotidien. Dans les manuels, il importe de ne pas montrer de contenus partiels ou équivoques ; les informations ne doivent pas non plus être dénaturées. Roger Seguin (Seguin, 1989, p. 32-33) propose que pour un même fait ou évènement soient présentées plusieurs interprétations ou bien différentes explications possibles pour un seul phénomène. Les manuels font des choix qui sont le plus souvent tacites.
Les manuels montrent des modèles qui peuvent avoir une influence sur les attitudes, les façons de voir le monde et les points de vue des apprenants (Fontanini, 2007, p. 2). Ils transmettent des normes et des valeurs mais aussi une certaine compréhension de l’histoire, une façon de percevoir le monde et des exemples de comportements sociaux. Ces aspects ne sont pas visibles lors d’une lecture rapide mais on les retrouve dans les textes, dans les illustrations et dans les exercices (Id) : c’est ce que nous avons voulu voir dans les manuels étudiés. Cependant, les apprenants, les parents et les enseignants font instinctivement confiance aux manuels. Ils ont donc une importance majeure dans l’éducation des plus jeunes. Ils sont perçus comme des livres supérieurs aux autres qui ne peuvent contenir ni erreurs ni failles. Selon Bendick[6], les manuels sont des « autobiographies nationales », on peut alors s’interroger sur les valeurs transmises par ces derniers ; aussi nous verrons dans la deuxième partie que ces manuels correspondent en partie à l’image que les Français se font de la Chine.
Les manuels transmettent des valeurs, une idéologie et une culture. Ils montrent « l’identité de la nation toute entière » (Choppin, 1992, p. 19). Cependant, un manuel est forcément « réducteur » puisqu’il doit trier, structurer, hiérarchiser les connaissances. Il impose alors ses choix tout en occultant certains aspects et en valorisant d’autres (Id, p. 112). Choppin (Ibid) fait remarquer que certains reprochent au manuel d’être « un instrument d’endoctrinement » et lorsqu’il est neutre, il est critiqué pour son manque d’intérêt. Cependant, il ne peut pas présenter la réalité de façon exhaustive, il doit forcément la simplifier et réduire le contenu, opérer des choix pour ne garder que l’essentiel. Cela a pour conséquence que certaines informations peuvent s’avérer inexactes. En général, les manuels montrent les qualités de la société et non ses défauts (Ibid, p. 167), ce que nous avons souhaité observer avec les manuels de chinois publiés en France pour des apprenants français en montrant comment est présentée la Chine, pays au pouvoir autoritaire .
2. Les stéréotypes dans les manuels
2.1 Les stéréotypes généraux sur la Chine
Pour cette recherche, nous avons sélectionné quatre manuels, réalisés par des auteurs chinois, français ou bien des deux nationalités et publiés à différentes périodes. Cependant, tous sont toujours disponibles à la vente[7], certains ayant été réédités et quelque peu modernisés. Ces quatre manuels sont :
Méthode d’Initiation à la Langue et à l’Écriture chinoises de Joël Bellassen, avec la collaboration de Zhang Pengpeng, édition de 1989
Méthode 90, Chinois débutant pratique de base de Leilei Li, publié en 2004
Ni shuo ne ? Méthode de chinois, A1/ A2 du CECRL de Arnaud Arslangul, Claude Lamouroux et Isabelle Pillet, publié en 2009
Ni shuo ba ! Méthode de chinois , A2/B1 du CECRL de Arnaud Arslangul, Jin Yezhi, Claude Lamouroux et Isabelle Pillet, publié en 2013. Ni shuo ba ! est la suite de Ni shuo ne ?.
On trouve dans le manuel Ni shuo ne ? des stéréotypes sur la Chine ; cela se voit dans les dessins avec une grand-mère aux yeux très bridés avec un chignon (Arslangul, Lamouroux & Pillet, 2009, p. 13). Dans un exercice, (Id 2009, p. 15), tous les personnages habitent à Pékin. On constate également des clichés sur cette ville : pour un voyage à Pékin, les photos sont la cité interdite et le temple du ciel ainsi que le canard laqué (Ibid, p. 167) avec des généralités telles que : la Cité interdite est très grande, la grande muraille est très longue (Arslangul, Lamouroux & Pillet, 2009, piste 157) alors que cette dernière ne se situe pas dans le centre de la capitale. Ces aspects se retrouvent dans Chinois débutant pratique de base. De même, pour Shanghai, on trouve les photos de Nanjing road, de Pudong comme on peut le voir dans la leçon 28 ( Li, 2004, p. 141). Quel que soit le manuel, on trouve assez peu d’ouverture à des villes moins connues à l’exception de Ni shuo ne ? qui mentionne également Jinan.
La photo d’une famille chinoise la montre avec du thé sur la table (Arslangul, Lamouroux & Pillet, 2009, p. 36). Cela renforce l’idée que tous les Chinois boivent du thé. Dans Chinois débutant pratique de base, un personnage fait du vélo et du Taïchi ( Li, 2004, p. 272), les manuels quels que soient leurs auteurs et leur année de publication ne vont pas forcément à l’encontre des clichés des Français sur ce pays.
On trouve également une photo de karaoké (Arslangul, Jin, Lamouroux et al., 2013, p. 8) renforçant l’idée que tous les Chinois adorent cette activité. Un texte (Id, 2013, p. 76) indique même que « le karaoké est adapté au caractère des orientaux » or, tout un peuple ne peut pas avoir le même caractère. Il est écrit dans ce même document que les Chinois sont introvertis et que les Occidentaux sont extravertis, n ‘échappant pas à des représentations stéréotypées. Une case de la bande dessinée Lucky Luke (Ibid, p. 132) correspond tout à fait aux clichés des Français sur les Chinois : ils travaillent tout le temps (celui de la case repasse) et ils omettent les verbes dans les phrases, voici ce qui est écrit dans les bulles :
« Lucky Luke : Quelle corvée Ming Li Foo, nettoyer tous ces uniformes !
Le Chinois : Pas corvée, honorable ami, car mon humble travail bien rémunéré et j’ai besoin de beaucoup d’argent pour retourner à Canton et ouvrir blanchisserie américaine. »
Physiquement, le Chinois est jaune avec une tresse, comme à l’époque de la dynastie Qing, dont la fin date de 1912. Aucun travail sur ces clichés n’est proposé dans le manuel, mais simplement des questions sur ce que les apprenants pensent des conditions de vie de ces Chinois d’outre-mer et quel est leur travail.
Le personnage qui illustre le manuel Ni shuo ne ? est un panda (noir et blanc), cela renforce l’idée que l’animal que l’on trouve en Chine c’est le panda. De même, lorsqu’il s’agit d’apprendre les prépositions de lieu, c’est un dragon qui est sur le nuage, sous le nuage... (Arslangul, Lamouroux & Pillet, 2009, p. 115) Plutôt que d’essayer de donner une autre image du pays, les manuels semblent renforcer les stéréotypes.
On trouve une carte de la Chine (Arslangul, Lamouroux & Pillet, 2009, p. 166) avec des illustrations, pleine de clichés : on y voit la grande muraille, un panda avec du bambou, de hautes montagnes au Tibet, des tasses de thé et des baguettes mais aussi un paysan avec un chapeau chinois portant une palanche avec deux seaux de chaque côté. À côte de la carte, on remarque le drapeau chinois et dessus un chat porte-bonheur qui est d’origine japonaise. On voit ici l’objectif de présenter la Chine comme les Français se la représentent. On retrouve ce même type de document [une carte de Chine] dans Méthode d’Initiation à la Langue et à l’ Écriture chinoises (p. 72), avec également la grande muraille, des bâtiments traditionnels, des rizières, des jonques ou les paysages très connus de Guilin.
Comme le reconnait lui-même l’auteur, Joël Bellassen, « la différence entre le nord et le sud [de la Chine] prête à la simplification » (Bellassen, 1989, p. 90), mais aussi aux clichés : la Chine du Nord y est présentée comme traditionnelle et la Chine du Sud : avec beaucoup de fleuves et commerçante. Un dialogue (Bellassen, 1989, p. 137) reprend tous les clichés sur la Chine et les Chinois : ils sont très nombreux, il y a beaucoup de vélos, ils mangent avec des baguettes et Confucius est cité. Quelle que soit l’année du manuel, les stéréotypes sur la Chine traditionnelle et exotique restent présents.
Dans Chinois débutant pratique de base, on trouve des auto-stéréotypes : un personnage, qui par son nom semble chinois, prépare un canard qui ressemble au canard laqué pékinois ( Li, 2004, p. 232) ou Xiao Ming, que l’on devine être chinois d’après son nom ne boit pas de café mais du thé ( Id, p. 124 ).
L’accent des enregistrements de Ni shuo ne ? et Ni shuo ba ! est clairement pékinois, tout comme, à l’écrit, le suffixe儿 (er), très spécifique au chinois du nord, se retrouve dans tous les manuels que nous avons consultés. Au niveau culturel, la Chine du Nord est aussi plus largement représentée : dans Méthode d’Initiation à la Langue et à l’Écriture chinoises (Bellassen, 1989, p. 92), un dessin montre un Chinois assis sur un « kang » (lit de briques chauffé) ce qui est propre au nord du pays.
2.2 Une image ancienne de la Chine
Alors que le manuel Ni shuo ne ? date de 2009, il propose une photo d’un très vieux train (Arslangul, Lamouroux & Pillet, 2009, p. 98) confirmant l’image des occidentaux d’une Chine très peu moderne (Id, 2009, p. 63). On trouve également beaucoup de photos anciennes : de famille (Arslangul, Jin, Lamouroux et al., 2013, p. 22), de Shanghai et toute une leçon est intitulée « le Shanghai des années 1930 » (三十年代的上海) (Arslangul, Jin, Lamouroux et al., 2013, p. 58-59). Les auteurs généralisent et rendent plus traditionnelles les fêtes, « les tambours accompagnants les défilés et les danses du dragon et des lions ne cessent de résonner » (Arslangul, Lamouroux & Pillet, 2009, p. 108) ; alors que toutes les villes n’ont pas ces animations. Le dessin issu de Tintin et le lotus bleu (Bellassen, 1989, p. 180) montre aussi tous les clichés des Européens sur la Chine qui resterait traditionnelle : Tintin, Dupond et Dupont portent des vêtements typiques, les deux détectives ont même une tresse pour l’occasion ce qui ne se fait plus depuis la fin de l’époque Qing. D’après les dessins du manuel Méthode d’Initiation à la Langue et à l’Écriture chinoises, on peut imaginer que tous les Chinois vivent encore dans des maisons traditionnelles, tout comme dans une présentation culturelle de Ni shuo ne ? (Arslangul, Lamouroux & Pillet, 2009, p. 134-135). Dans une leçon (Bellassen, 1989, p. 105), le caractère 车 est traduit par char véhicule à roue, alors que, même rares, il y avait quelques voitures en Chine à cette époque. Méthode d’Initiation à la Langue et à l’Écriture chinoises ne montre que la Chine très traditionnelle et ancienne : un enseignant n’a pas de tableau dans sa classe et utilise des tablettes dans son cours (Bellassen, 1989, p. 52). La partie culturelle de Méthode d’Initiation à la Langue et à l’ Écriture chinoises fournit peu d’informations sur la Chine de l’époque : les années 1980, dans une partie « civilisation » (Bellassen, 1989, p. 135), les examens impériaux sont présentés, alors que les derniers ont eu lieu au tout début du XXe siècle, bien que rédigé au passé le paragraphe ne le précise pas. L’aspect trop traditionnel donne une vision erronée du pays : un médecin qui écrit au pinceau (Bellassen, 1989, p. 214) paraît daté.
D’une manière générale, les manuels, quelle que soit leur année de publication, correspondent en partie à l’image que les Occidentaux se font de la Chine : un pays très différent et encore traditionnel, assez idyllique. Même des ouvrages plus récents comme Ni shuo ba ! propose toute une leçon sur le Shanghai des années 1930 (Arslangul, Jin, Lamouroux et al., 2013, p. 58-59). Mais l’aspect très ancien n’est plus présent dans les manuels publiés à partir des années 2000 : vingt ans plus tard, la modernisation de la Chine est connue. Chinois débutant pratique de base ne propose ni rubriques culturelles ni images ou photos et ne montre donc une Chine ni ancienne ni particulièrement moderne dans ses textes et exercices.
2.3 Une simplification parfois erronée
Dans un tableau, on trouve la viande de chien (Arslangul, Lamouroux & Pillet, 2009, p. 161) ce qui confirme le point de vue : les Chinois mangent du chien alors que beaucoup n’en ont jamais mangé. Dans un programme d’élèves français en Chine, ils vont voir un opéra de Pékin (Id, p. 181), ce qui est idéaliste puisque très long et très compliqué, il est très difficile de suivre tout un opéra de Pékin pour un étranger à moins qu’il ne soit traduit ou adapté aux touristes. Nous avons pu constater dans ces manuels quelques écarts avec la réalité. En effet, concernant la culture, ce ne sont pas non plus toujours les plats les plus connus qui sont présentés comme le poulet aux noix de cajou (Arslangul, Jin, Lamouroux et al., 2013, p. 79), alors que le poulet aux cacahuètes est plus populaire. Certaines données ne correspondent pas tout à fait à la réalité, par exemple, la langue portugaise est souvent utilisée à Macao (Id, p. 127) alors que très peu d’habitants y sont lusophones. Le manuel simplifie aussi parfois trop la réalité avec une carte de la route de la soie (Ibid, p. 119) qui ne représente qu’un seul itinéraire alors qu’il y en avait plusieurs.
2.4 La présence du Japon
Tandis que les deux pays ne s’apprécient pas, le Japon est présent dans les manuels Ni shuo ne ? et Ni shuo ba !. Par exemple, on trouve à chaque leçon une page de mangas dans Ni shuo ne ? et dans une écoute de la leçon 9 (piste 113), un personnage aime beaucoup les mangas, ce qui peut créer une certaine confusion. Au début de Ni shuo ne ? (p.39), les personnages du manga de la leçon 3 ont des noms japonais : Takeo et Yûta : il est étrange d’avoir des noms japonais et des aspects d’un autre pays dans un manuel chinois, surtout en tout début d’apprentissage (leçon 3). Dans ce même ouvrage (Ni shuo ne ?), un exercice de compréhension orale (p.62) est un « reportage sur la vie du sumo », la lutte japonaise. Si les apprenants souhaitent mieux connaître le Japon, ils peuvent apprendre le japonais. Cela se rapproche d’une idée occidentale qui considère que les pays d’Extrême-Orient sont très similaires et ne fait que rarement la différence entre des traditions chinoises, japonaises ou coréennes.
Au contraire, le manuel Méthode d’Initiation à la Langue et à l’Écriture chinoises montre très clairement son antipathie pour le Japon qui semble être désigné pour tout ce qui est négatif : dès le premier dialogue (Bellassen, 1989 , p. 21), alors que la Chine est « très grande », le Japon lui « n’est pas grand, il est très petit », bien que ce pays ne soit pas l’un des plus petits du monde. Le manuel continue à insister sur la taille du pays dans des exercices, et, page 200, il faut demander « pourquoi n’étudies-tu pas le japonais ? », la réponse doit être, « je n’aime pas [cette langue] » ou on trouve aussi (p. 190) « le thé chinois est meilleur que le thé japonais ». La phrase « les Français sont plus nombreux que les Japonais » (Bellassen, 1989, p. 190), nous étonne puisqu’en 1989, la population japonaise était déjà plus nombreuse qu’en France. Aussi, les manuels conçus par des Français traitent du Japon mais avec des points de vue différents.
2.5 La place de l’idéologie chinoise
L’idéologie chinoise n’est ni mise en avant ni ignorée ; par exemple, sur les photos d’une école (Arslangul, Lamouroux & Pillet, 2009, p. 10) et d’une classe (Arslangul, Jin, Lamouroux et al., 2013, p. 8), les slogans n’ont pas été enlevés. Le manuel Ni shuo ne ? (Arslangul, Lamouroux & Pillet, 2009, p. 56) demande même ce que dit une affiche de propagande sur la politique de l’enfant unique. Dans Ni shuo ba ! (Arslangul, Jin, Lamouroux et al., 2013, p. 36), un article, est issu du quotidien du peuple, journal très proche du parti. Un texte sur la révolution culturelle (Id, p. 92) ne présente que les vêtements portés à l’époque, un sujet assez neutre. L’extrait sélectionné de l’autobiographie de Puyi « J’étais empereur de Chine » (Ibid, p. 124) est aussi impartial, il porte sur l’enfance dans la cité interdite et non sur ses années en camp de rééducation par exemple. Les manuels sont quasi exclusivement axés sur la culture han et les minorités ne sont que très rarement abordées.
Le manuel Ni shuo ba ! (Arslangul, Jin, Lamouroux et al., 2013, p. 112-113) propose une leçon sur les Jeux olympiques de Pékin et sur l’Exposition Universelle de Shanghai, deux grandes fiertés de la chine, à l’image d’un texte (Id, p.112) qui rappelle que les JO de 2008 sont incomparables aux autres pays organisateurs : par leur prix, leur taille.... accompagné d’aucun autre commentaire. La leçon 75 de Chinois débutant pratique de base (p.328) insiste sur le prestige de la Chine et finit par cette phrase sur la Grande Muraille : « elle vous fera certainement sentir la grandeur de la nation chinoise » ( Li, 2004, p. 329). Dans une leçon ( Id, p. 365) sur « le problème démographique », l’auteur justifie la politique de l’enfant unique : « aujourd’hui, on a maîtrisé pour l’essentiel la croissance démographique rapide et on a obtenu de très bons résultats », le texte de la leçon finit par : « il semble qu’en Chine le planning familial soit très nécessaire ».
Le manuel Chinois débutant pratique de base contient des aspects très nationalistes : la leçon 5 ( Li, 2004, p. 49) s’intitule « J’aime beaucoup la Chine ». Ce qui ne se retrouve pas dans les autres manuels. La Chine est aussi particulièrement mise en avant, d’ailleurs « tout le monde dit : « le monde ne peut pas se passer de la Chine, la Chine ne peut pas non plus se passer du monde » » ( Id, p.385).
Dans un exercice de version ( Li, 2004, p.51), on trouve la phrase : « Simon aime beaucoup la Chine, il aime aussi beaucoup parler chinois ». Phénomène que nous avions également constaté dans le manuel de FLE chinois intitulé Le Français (Ma & Lin, 1992, p. 123 et p. 126). Méthode d’Initiation à la Langue et à l’ Écriture chinoises fait aussi ressortir un certain nationalisme : dès la deuxième leçon (Bellassen, 1989, p. 31), on apprend « national, de mon pays » (我国), dans la troisième leçon, il est possible de retenir : « votre pays ». Plus tard (Bellassen, 1989, p. 85), ils apprendront à dire patriote puis, ils verront la phrase (Id, p. 111) : « tout le monde aime beaucoup son pays » (大家都很爱国).
Le manuel Ni shuo ba ! (Arslangul, Jin, Lamouroux et al., 2013, p. 115) présente la situation de la Chine en Afrique, l’aide au développement des infrastructures sur le continent, que les Chinois emploient peu les locaux, mais ne mentionne pas les problèmes que cela peut poser.
Le père d’un personnage qui doit participer à une compétition lui impose le recueil de poèmes de Mao Zedong[8]: il a obtenu le premier prix (Arslangul, Jin, Lamouroux et al., 2013, piste 12). En revanche, lors d’une présentation de Zhang Yimo, il est dit que certains de ses films ne sont pas diffusés en Chine continentale, la raison donnée est : « parce que trop sensibles » (因为太敏感) (Id, piste 43).
Certains aspects sont très proches du communisme : « il va en réunion à l’usine » est le titre de la leçon 8 ( Li, 2004, p. 61). Ce lexique portant sur les usines est régulièrement réemployé dans les exercices. Cela est aussi représenté dans Méthode d’Initiation à la Langue et à l’Écriture chinoises : on trouve les mots « ouvrier » et « ouvrière » (Bellassen, 1989, p. 85), « un syndicat » et une « assemblée annuelle » (Id, p. 130). Ce que l’on retrouve dans méthode d’Initiation à la Langue et à l’Écriture chinoises et ne diffère donc pas selon les années de publication. Par contre, Chinois débutant pratique de base semble plus proche de l’idéologie chinoise. D’ailleurs, la phrase « la minorité doit se soumettre à la majorité » ( Li, 2004, p. 334) nous semble particulièrement autoritaire et ne se retrouve jamais dans un manuel français.
2.6 Taïwan
En général, Taïwan est présenté de façon impartiale, afin que cela ne heurte ni les Chinois ni les Taïwanais. Même si Taïwan est très peu présent dans Ni shuo ne ? et Ni shuo ba !, deux pages lui sont consacrées dans la dernière leçon de Ni shuo ba ! (Arslangul, Jin, Lamouroux et al., 2013, p. 128-129) portant sur les régions de langue chinoise (华语地区). Sur les premières pages des deux manuels Ni shuo ne ? et Ni shuo ba !, on trouve deux cartes : une des provinces chinoises, l’autre de la géographie de la Chine, sur ces deux cartes Taïwan est indiqué comme faisant partie de la Chine, cependant, sur la carte du monde à la fin de Ni shuo ba !, Taïwan n’est pas de la même couleur que la Chine. Dans la leçon (Arslangul, Jin, Lamouroux et al., 2013, p. 128-129), on ne trouve que des faits neutres politiquement tels qu’un tableau avec le nombre d’habitants, la superficie, les langues parlées, le climat, l’agriculture... Alors qu’on retrouve sensiblement le même tableau pour Hong-Kong et Macao dans les pages précédentes (Arslangul, Jin, Lamouroux et al., 2013, p. 126 et 127), la ligne présentant la politique est inexistante dans le tableau sur Taïwan. Concernant les langues, alors que les Taïwanais considèrent parler le taïwanais, pour les Chinois, ils parlent un dialecte de la province du Fujian, le livre écrit donc dialecte et évite de le nommer. Dans cette même leçon, quelques mots différents entre la Chine et Taïwan sont présentés puis un texte sur la situation de Taïwan de 1894 à nos jours. Dans ce texte, le manuel indique : « Ces dernières années, les relations entre la Chine et Taïwan sont bien meilleures ; d’ailleurs, les collaborations [interdétroit] sont de plus en plus nombreuses » (近几年来台湾与大陆的关系好了很多,并且合作也越来越多) (Arslangul, Jin, Lamouroux et al., 2013 , p.129).
Dans l’enregistrement de Ni shuo ba ! (Arslangul, Jin, Lamouroux et al., 2013, piste 52), lors d’une interview, une Taïwanaise doit dire ce qu’elle pense de la Chine (appelée Chine continentale (大陆 ) et inversement, un Chinois doit donner son avis sur Taïwan. Bizarrement, la Taïwanaise a un fort accent pékinois. Les remarques concernant Taïwan : « les équipements basiques ne sont pas aussi bons qu’en Chine» et « les villes sont moins développées qu’en Chine » (城市也没大陆的发达) paraissent infondées, surtout que Shanghai et Pékin ne représentent pas toutes les villes chinoises. De même, « Mon père aime beaucoup [Taïwan], c’est comme la chine qu’il a vue lorsqu’il était enfant » semble exagéré. Le manuel, bien que mentionnant Taïwan, essaie de rester impartial, voire de plaire à la Chine sans trop heurter Taïwan.
Les manuels Chinois débutant pratique de base et Méthode d’Initiation à la Langue et à l’Écriture chinoises ne mentionnent pas Taïwan qui n’est pas dans la liste de vocabulaire en fin de volume et n’est donc pas dans le « lexique » à savoir. Dans une même leçon (Bellassen, 1989, p. 62-63), on trouve quelques caractères traditionnels dans un tableau montrant leur évolution ainsi que les termes 汉语 (langue chinoise) utilisé en Chine et 国语 ( langue nationale) à Taïwan. Sur les cartes de Chine de Méthode d’Initiation à la Langue et à l’Écriture chinoises, Taïwan est toujours représentée. Une leçon de chaque partie de Méthode d’Initiation à la Langue et à l’Écriture chinoises porte sur la Chine mais Taïwan n’est pas explicitement cité. Dans une partie civilisation, la date du 1er octobre est indiquée pour la fête nationale (Bellassen, 1989, p. 41) mais pas le 10 octobre.
Conclusion
Malgré leurs différences par leur année de publication comme par la nationalité de leurs auteurs, les manuels restent assez proches en ce qui concerne les stéréotypes et leur représentation de la Chine avec seulement quelques nuances. En effet, le manuel publié en 1989 présente parfois la Chine impériale avec des personnages qui écrivent au pinceau et des manuels ayant une dizaine d’années présentent la Chine traditionnelle. Selon la nationalité des auteurs, les stéréotypes varient ou non. Nous avons parfois trouvé les mêmes stéréotypes comme le thé. Concernant la représentation de la Chine perçue comme un pays très ancien et traditionnel, cela se voit beaucoup plus dans les manuels conçus par des auteurs français. La relation parfois tendue entre la Chine et la Japon se retrouve seulement dans le manuel réalisé par une Chinoise. De même, le nationalisme et l’idéologie sont plus présents dans Chinois débutant pratique de base. Le manuel écrit par une seule auteure chinoise correspond aux manuels de FLE conçus en Chine par et pour des Chinois avec des stéréotypes qui sont parfois les mêmes que ceux conçus avec des auteurs français mais aussi des aspects nationalistes propres à la Chine. C’est aussi le cas dans sa méthode d’enseignement avec une traduction systématique des textes des leçons mais aussi des exercices de thème et de version proposés aux apprenants mais aussi dans son idéologie. Les enseignants doivent être conscients de la présence de ces stéréotypes au sein des manuels, ils peuvent alors proposer des activités interculturelles ou des jeux pour que les apprenants en prennent conscience. Ce qui pourrait être proposé dans une autre recherche. Aussi, il serait intéressant de voir quels sont les stéréotypes présents dans les manuels de chinois langue étrangère réalisés par des Taïwanais, comment sont présentés les pays étrangers et comment Taïwan est présenté.
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[7] En février 2020
[8] 毛泽东诗集 (Mao Zedong shiji) [nous traduisons]
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